Depuis 2006, la journée mondiale du naturisme se déroule chaque année, début juillet. Enfin, avec 38 000 adhérents comptabilisés en 2014, la Fédération française de naturisme (FFN) a enregistré au début des années 2010 une nette hausse de ses effectifs.
Cet engouement relève-t-il d’un phénomène de mode, produit par les médias et appelé à retomber plus ou moins rapidement ? S’inscrit-il, au contraire, dans des évolutions sociales voire sociétales plus profondes ?
Assiste-t-on à un rajeunissement du naturisme, loin de l’image d’un mouvement dont les valeurs, tout comme les pratiquants, ont inexorablement vieilli ?
Un renouvellement significatif des pratiquants ?
On assiste depuis la fin des années 2000 à un renouvellement des pratiquants. Un sondage Ipsos paru en 2015 le confirme, comme les enquêtes menées de 2015 à 2017 par le cabinet Pro-Tourisme pour le groupe de villages naturistes France 4 naturisme.
Selon ces études, 2,6 millions de Français pratiquent régulièrement le naturisme, (et 13,4 de manière occasionnelle). Autre enseignement, la pratique séduit de plus en plus de jeunes adultes et de familles, en soif d’évasion et de bien-être face au stress du monde professionnel.
Les pratiquants sont à 60 % des hommes et à 70 % de femmes de moins de 50 ans. Parmi les motivations des nouvelles adhérentes, on note celle de disposer librement de leurs corps dans un espace tolérant.
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Ces récentes évolutions doivent cependant s’apprécier avec nuance. C’est en effet l’offre naturiste de vacances, structurée autour de plusieurs entités commerciales, qui tire son épingle du jeu. Le parc d’hébergement naturiste et le chiffre d’affaire qui y correspond, estimé à 300 millions d’euros en 2018, est en croissance continue.
Ce succès tient aussi à la clientèle étrangère.
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À la conquête de nouveaux espaces
Le naturisme poursuit son essor en s’appuyant sur son parc de campings et de villages vacances. En 2022, 460 espaces lui sont légalement consacrés en France. Parmi eux, on recense 76 plages, 2 ports, 155 établissements de vacances et tout autant d’associations disposant le plus souvent de leur terrain.
De ce point de vue, le naturisme s’inscrit dans la continuité du tournant pris dans les années 1960 : celui d’une pratique de masse s’appuyant sur la démocratisation des loisirs et les politiques d’aménagement touristique du territoire. Le naturisme a ainsi conquis sa légitimité, couronnée en 1983 par sa reconnaissance d’utilité publique. Mais il l’a fait, pour l’essentiel, au prix d’une assignation à des espaces délimités, voire fermés, afin de ne pas heurter la sensibilité des « textiles » ou d’attirer les voyeurs.
On assiste cependant à une évolution, illustrée par l’essor des « randonues » et des « cyclonues ». D’une position « en retrait », les promoteurs du naturisme se montrent plus « offensifs », vers la fin des années 2000. Il s’agit d’ouvrir de nouveaux espaces à la nudité sans qu’elle tombe systématiquement sous le coup de la loi.
Le lancement en 2011 de la « Journée sans maillot », organisée sur tout le territoire par la Fédération française de naturisme en est l’illustration. À cette occasion, le naturisme quitte ses murs pour investir l’espace public : rues, routes, chemins et piscines accueillent les adeptes du nu avec l’accord des pouvoirs publics.
Autre exemple marquant, en 2017, la Ville de Paris accepte l’ouverture d’une zone naturiste dans le bois de Vincennes. Son originalité réside dans le fait que l’espace est ouvert – pas de palissades ni d’autre protection – et mixte en termes de nudité. Inaugurée le 31 août 2017, l’expérimentation est reconduite chaque année.
Vers une nouvelle « humanuté »
Cependant, alors que la FFN et ses associations locales négocient avec les pouvoirs publics pour organiser ces événements, d’autres prosélytes du nu n’hésitent pas à braver la loi pour susciter son évolution.
Outre-Manche, Steve Gough est devenu le porte-étendard des défenseurs d’un droit fondamental à la nudité alliant le geste à la parole. Le cas n’est pas isolé, y compris en France, ou certains militants, comme Jean-Pierre David, provoquent la polémique.
En 2007, a d’ailleurs été créée l’Association pour la Promotion du Naturisme En Liberté (APNEL). Son objectif : que soit « modifié l’article 222-32 du code pénal français afin que la simple nudité ne soit plus assimilée à de l’exhibition sexuelle, pour être en conformité avec la législation des autres pays européens ».
Comptant 270 adhérents en 2017, l’APNEL vient en aide à ceux et celles qui ont été arrêtés lors de randonues « non déclarées » en les assistant lors de leur procès et en organisant des souscriptions.
Avec Jacques Frémont, un des initiateurs de l’APNEL, les promoteurs de cet idéal de nudité se définissent non seulement comme des naturistes mais, plus encore, comme des « nudiens ». La nudité est ainsi entendue tout à la fois comme un idéal, un absolu et une libération.
Elle doit organiser une société plus tolérante, démocratique et dégagée du diktat des apparences. De 2016 à 2018, signe des temps, les représentants de l’APNEL participent à la fête de l’Humanité et obtiennent le droit de tenir leur stand entièrement nus.
Une dynamique d’expansion
Pour en venir maintenant aux principales causes déterminant la dynamique d’expansion du naturisme, il faut retenir tout d’abord que celui-ci naît d’un désir de nature renouvelé, au tournant des XVIIIe et XIXe siècles. Il se déploie autour d’un profond sentiment de coupure avec la nature que catalysent la révolution industrielle, l’urbanisation et les pandémies.
Ce sentiment se nourrit également des angoisses d’une apocalypse industrielle. Ce faisant, le naturisme alimente une conscience écologique précoce et s’inscrit dans une perspective réformiste majeure. Agglomérant des idéaux élevés, humanistes et progressistes, il vise à refonder une société qui s’est fourvoyée, et, au-delà, à donner naissance à une nouvelle humanité.
Le contexte actuel réactive le message réformiste naturiste et met en relief les valeurs qui le sous-tendent. Il porte tous les ferments d’un désir de nature propice au naturisme : nouvelle prise de conscience de la fragilité de la planète mais aussi privation de nature avec les confinements successifs liés au Covid-19. L’idéologie d’un retour salvateur à la nature, sur le plan individuel, social, physique et moral fait écho aux préoccupations contemporaines.
Profiter des plaisirs de la nature et de la nudité tout prenant soin de sa santé et de l’environnement, voire en œuvrant pour un monde meilleur, telle est la formule qui éclaire le succès des hébergements naturistes. Engagés de longue date dans une démarche éco-responsable, les centres naturistes de vacances mettent d’ailleurs avant le supplément de sens, d’âme qu’y trouve leur clientèle.
Une quête identitaire qui passe par la nature
Le naturisme s’affirme aussi en tant que réponse à une quête de sens. De fait, il se structure face à la déstabilisation des repères qui accompagne l’accélération de l’histoire. Révolutions économique, industrielle, médicale, guerres modernes sont autant de faits qui viennent interroger profondément les populations.
Nulle surprise dès lors à ce que les mouvements naturistes se déploient de façon significative au sortir de la Grande guerre, un conflit qui signe pour nombre d’individus l’impasse de la société et de son organisation politique. Ils y puisent notamment leur ancrage pacifique et internationaliste.
Le naturisme connaît une nouvelle poussée lors des Sixties, à un moment ou justement le système économique, social et politique est remis en cause par une jeunesse en soif de liberté. Lorsque tout semble contestable, incertain, confus, on s’en remet à la nature : une nature mythifiée, intemporelle, invariablement bénéfique et vue comme seule capable de donner du sens à l’existence.
Une fois encore, on peut faire le parallèle entre ces « moments » de l’histoire et la période actuelle. Que l’on pense ainsi à la crise écologique qui se dessine, à la problématique énergétique, à la persistances de conflits dramatiques, mais aussi à la fragilisation du lien social, autant de facteurs qui battent en brèche les certitudes et fond sourdre les peurs.
De nouvelles pathologies en sont les symptômes : solastalgie, éco-anxiété. Le naturisme contemporain, comme stratégie identitaire, y trouve probablement une des raisons de son renouveau.
Par delà l’actualité de son message, fondé sur le respect de soi, des autres et de la nature, si le naturisme perdure en tant que culture en mouvement c’est aussi parce que ses prosélytes ont su s’adapter aux nouveaux supports de communication. L’initiation peut ainsi commencer en ligne et se trouve facilitée par l’interactivité que permet ce nouveau support.
Un fait qui révèle, une fois de plus, que le naturisme est bien le fruit de la modernité.
Sylvain Villaret, Maître de conférence en histoire du sport et de l'éducation physique, Le Mans Université
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.